Malgré des années de pratique, aucune discipline en rapport avec la santé mentale n'a connu, ces dernières décennies, d'évolution notable dans le traitement de troubles tels que l'autisme, la bipolarité ou la schizophrénie. Un constat qui s'explique en partie par le fait que nous ne connaissons toujours pas les mécanismes neurologiques en jeu dans ces troubles.
Atlantico : La Journée mondiale de la santé mentale a lieu ce lundi 10 octobre. Selon l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (Icm), les disciplines relevant de la santé mentale n'ont pas connu d'évolution majeure depuis les années 1960. Ce constat vous semble-t-il véridique ? Comment expliquer ce décalage avec la médecine en général ?

Alexandre Baratta : En effet, les trois principales familles de  psychotropes utlisés en psychiatrie sont les neuroleptiques, les antidépresseurs, et le lithium. L'efficacité de chacune de ces familles de molécule en psychiatrie est le fruit de découvertes fortuites, entièrement liées au hasard.

Ainsi, le premier antidépresseur est issu d'un échec cuisant des antituberculeux. Sans action sur l'agent de la tuberculose, les médecins ont observé qu'il améliorait le moral des malades. L'action sur la sérotonine de ce médicament a permis d'orienter ensuite le modèle sérotoninergique de la dépression. Il s'agissait de l'Iproniazide, dans les années 1957.

Parallèlement,  en 1951, est synthétisé le Largactil: il est alors utilisé en chirurgie à visée anesthésiante. Là encore, les observations médicales rapportent un effet de "desinteressement" chez les patients. Les premiers tests de cette nouvelle molécule en psychiatrie sont concluants: le Largactil ouvre la voie des traitements modernes des psychoses, dont la schizophrénie.

Quant au lithium, traitement de référence du trouble bipolaire, son histoire est encore plus ancienne. A la fin des années 1800, l'une des théories des maladies mentales était un déséquilibre en oligo éléments et en sels minéraux de tout genre: sodium, potassium, lithium, magnésium, etc. Ainsi, en 1880, des eaux minérales enrichies en lithium sont utilisées. Son utilisation spécifiquement psychiatrique débute en 1949 dans le traitement du trouble bipolaire.

Depuis ces découvertes liées au hasard, les laboratoires pharmaceutiques ont développé des molécules améliorées, mieux tolérées avec moins d'effets secondaires. Mais aucune révolution notoire n'est à noter depuis cette période charnière.

Cette absence d'évolution s'explique simplement : malgré les nombreux modèles théoriques existants, nous ne savons toujours pas comment le cerveau de patients schizophrènes ou bipolaires fonctionne (ou plutôt dysfonctionne). Le cerveau est l'organe le plus complexe du corps humain, ne l'oublions pas... (...)

 

Auteur de l'article original: Alexandre Baratta
Source: Atlantico.fr
Date de publication (dans la source mentionnée): Lundi, 10. Octobre 2016
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