Quels patients pourront bénéficier des traitements destinés à soigner les affections rares ? Les plus riches des pays riches. Pour éviter cette situation inacceptable, il faut repenser toute la chaîne qui va de la recherche jusqu’au remboursement de ces molécules au prix souvent exorbitant.

La lutte contre les maladies rares est une équation complexe. Les médicaments et la médecine personnalisée, s’ils offrent à l’industrie un nouveau marché très lucratif, représentent un risque mal anticipé par les Etats pour leur financement. Selon le cabinet Evaluate Pharma, les ventes mondiales de traitements pour ces maladies oubliées seront passées de 20 milliards à 200 milliards de dollars entre 2000 et 2022.

Depuis deux décennies, l’intérêt pour ces thérapies appliquées à des maladies longtemps négligées s’est accru avec des succès thérapeutiques et commerciaux notables. La société Vertex Pharmaceuticals a obtenu ainsi l’autorisation de mise sur le marché en 2012 du Kalydeco, et en 2014 de l’Orkambi, tous deux utilisés contre la mucoviscidose. Le premier concerne environ 4 % des patients dans le monde (une soixantaine en France). Le second pourrait bénéficier à plus des trois quarts des patients atteints par cette maladie génétique (5 000 cas en France). L’un et l’autre illustrent parfaitement une dérive inquiétante. Comment prendre en compte simultanément le coût de l’innovation, celui du développement thérapeutique et l’intérêt des patients ? Les médicaments rares, par la valeur thérapeutique de la molécule et le faible nombre de patients, ont un prix parfois exorbitant. Les deux comprimés quotidiens de Kalydeco ou d’Orkambi coûtent ainsi entre 600 et 700 euros au patient, soit plus de 200 000 euros par an. Ce qu’un malade ne peut évidemment pas supporter seul.

En 2012, des chercheurs ont protesté contre le prix élevé du Kalydeco dans une lettre ouverte adressée à Vertex Pharmaceuticals, mais sans succès. Depuis, des Etats (Angleterre, Ecosse, Australie, Canada) cèdent un à un pour donner l’accès à ces nouveaux traitements. En mai 2017, la Belgique s’est prononcée contre le remboursement d’Orkambi, et la France à fait de même, en février 2018.

Les patients et leurs familles se retrouvent alors pris au piège entre d’un côté la réglementation des Etats et de l’autre les entreprises pharmaceutiques qui répercutent les dépenses d’innovation et de développement sur le prix du médicament, profitant ainsi de leur avance. La réaction de Vertex a été immédiate avec des menaces de retrait des essais cliniques en France et l’arrêt de la distribution du médicament. Cette réaction présage du chantage auquel nous devons nous préparer. (...)

 

Auteur de l'article original: Frédéric Beck
Source: Liberation.fr
Date de publication (dans la source mentionnée): Dimanche, 3. Juin 2018
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