Le dernier médecin de campagne ? Au lendemain de son départ à la retraite, le docteur Vieilledent, médecin généraliste établi à Saugues dans la Haute-Loire, témoigne de sa vie consacrée au bien-être de cinq générations de patients dans un canton de la France rurale. Extrait de "Médecin de campagne, une vie", publié aux éditions Calmann-Levy (1/2)

La carte Vitale aura deux effets sur mon quotidien. D’abord, je vais me sentir fliqué, puisque tous mes actes seront transmis en quasi- temps réel à la Sécurité sociale. Pour le patient, ce nouveau gadgetà ranger dans son porte- cartes offre un nouveau confort : plus besoin de se poser la question de savoir s’il a les moyens de payer la visite. Mais du coup, il va aussi et très rapidement perdre toute idée de la valeur de l’acte médical. On entre dans l’ère du « j’y ai droit ». Avant, les patients s’excusaient presque de vous déranger avec leur petit rhume, même si cela s’avérait être une pneumonie.

Dorénavant, ils n’hésitent plus à consulter pour un oui, pour un non. Je recevrai ainsi des gens qui profiteront des dimanches matin, les week- ends où je suis de garde, pour toquer à ma porte, comme ça, juste pour faire renouveler leur ordonnance.

Munis de leur petit sésame de plastique vert, beaucoup se sentent également autorisés à tout demander, à exiger même. Auparavant, un médecin réfléchissait avant de prescrire un scanner ou une IRM. Il fallait joindre un cabinet, prendre sa voiture, partir une bonne partie de la journée. Tout le monde était conscient que cela avait un coût. Aujourd’hui, ce sont les patients qui réclament. Ils ont la carte Vitale, ils y ont droit, alors ils ne se gênent pas. Certains médecins disent oui, d’autres résistent, mais pas toujours et pas très longtemps si le patient insiste. Je crois que mes pairs ont eux aussi perdu le sens de la réalité avec ce petit objet.

J’ai connu des confrères qui profitaient de ce système pour gagner plus d’argent à la fin du mois. Comment ? En faisant revenir plusieurs fois les patients. Facile, on laisse partir le malade avec une prescription pour un premier examen et on lui demande de repasser. On l’envoie alors passer un examen complémentaire et on le revoit pour ça… Ça peut durer ! Et dans l’intervalle, on encaisse chaque fois vingt euros. (...)

 

Auteur de l'article original: Atlantico.fr
Source: Atlantico.fr - Extrait de "Médecin de campagne, une vie", de Georges Vieilledent
Date de publication (dans la source mentionnée): Mardi, 14. Octobre 2014
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Mots-clés: carte vitale