Comment j’ai appris à ne plus regretter l’homme qu’était mon père mais à aimer celui qu'il est devenu, atteint de démence
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Il y a des moments où il me manque terriblement, où je voudrais qu'il soit là pour me faire profiter de ses conseils.
Il est atteint de pertes de mémoire. Il n'en souffre pas. Dans ces cas-là, ce sont plutôt les familles qui souffrent.
L'autre jour, mon père est venu m'accueillir à mon arrivée à la maison. Il m'a serrée dans ses bras, a saisi à deux mains mes boucles emmêlées, les a tirées pour recouvrir mes oreilles, avant de les nouer sous mon menton. Le week-end suivant, c'est sur mes manches qu'il s'est focalisé, les soulevant et ne cessant de les retrousser.
Lors de ces instants, j'ai de nouveau senti sur moi le regard d'un père qui prenait soin de sa fille.
Mais il ne peut pas être ce père.
Le lobe frontal de son cerveau rétrécit.
Il est atteint de pertes de mémoire. Tel le corps d'une personne âgée qui se recroqueville sur lui-même, perdant en mobilité et en masse musculaire, le lobe frontal de son cerveau rétrécit. De méchantes plaques sont en train de s'y former, et les protéines qui les composent ont déformé ses cellules nerveuses. Son cerveau a perdu son joli galbe et semble maintenant criblé de trous. C'est cette image d'un pauvre cerveau diminué qui me redonne de la patience quand je me sens frustrée par sa transformation.
Certains docteurs disent qu'ils souffrent de dégénérescence fronto-temporale (DFT), d'autres évoquent des symptômes proches de la maladie de Parkinson, et que sais-je encore? Ce qui est sûr, c'est qu'il est atteint de démence. Le verbe que j'ai choisi a son importance. Il est atteint de pertes de mémoire. Il n'en souffre pas. Dans ces cas-là, ce sont plutôt les familles qui souffrent.
Toute ma famille et moi voudrions pouvoir faire quelque chose pour le soigner. Ma mère a parcouru une multitude de sites pleins de conseils le plus souvent inefficaces, comme quoi telle vitamine ou tel aliment pourrait prévenir une poursuite de la détérioration cérébrale. Alors, tout ce que je peux faire, c'est m'efforcer de changer la manière dont on traite les personnes atteintes de ces problèmes. Et, ce qui est tout aussi important, ceux qui s'occupent d'eux et leurs proches.
Si j'écris cet article, c'est pour mieux faire connaître cette maladie, pour ma mère et toutes les familles dont les proches sont devenus des étrangers. Je l'écris pour tous ceux qui y sont sensibles mais ne savent quoi faire pour aider les personnes atteintes de démence ou leurs familles.
Pour les personnes atteintes de démence, une série d'actions et de facultés que nous considérons comme acquises disparaît avec le temps: conduire, lire, écrire, parler, manger, avaler, se laver les dents, aller aux toilettes et, pour certains, marcher. Ce sont les aidants qui prennent le relais pour ces tâches quotidiennes. (...)