INTERVIEW - Frédéric Lenoir, philosophe, historien et chercheur en sciences sociales, a recours à la méditation pour initier les plus jeunes à la philosophie.

LE FIGARO. - Pourquoi vous lancer aujourd'hui dans cette grande aventure de faire transmettre méditation et philosophie aux enfants?

Frédéric LENOIR. - Depuis longtemps, j'observe que les enfants dès un très jeune âge se posent des questions philosophiques, et je me suis toujours demandé pourquoi on limitait l'enseignement de la philosophie au savoir conceptuel transmis en classe de terminale. Montaigne lui-même ne disait-il pas qu'on peut philosopher parce que c'est une pratique, «dès la nourrice»? J'ai alors appris que cela se faisait en Suisse, avec des enfants de 7 ou 8 ans. Pendant des mois, je suis allé me rendre compte sur le terrain, visitant différentes expériences d'«ateliers philo», puis j'en ai animé moi-même. Je voulais m'impliquer d'une façon plus citoyenne, et pour moi cette transmission aux enfants, qui leur permet de développer une pensée personnelle et un sens du débat rationnel, est une réponse concrète et durable pour contrer l'endoctrinement des jeunes, que celui-ci soit religieux ou consumériste.

Mais vous ne vous êtes pas limité à l'initiation philosophique. Vous apprenez aussi aux enfants à méditer. Pourquoi?

Dès mes premiers ateliers, je me suis rendu compte des grandes difficultés de concentration qui se manifestaient. Comme je pratique la méditation depuis plus de trente ans, je sais à quel point l'attention nécessite un entraînement de l'esprit. Elle seule permet de contrer l'interactivité permanente dans laquelle vivent les enfants, avec une agitation mentale qui empêche même certains de dormir! Si nous voulions que les enfants puissent s'exprimer et débattre ensemble au mieux durant nos ateliers, il fallait déjà leur apprendre à se calmer et à s'intérioriser. Aussi j'ai mis au point une petite pratique qui, précédant toutes les conversations philosophiques, rend celles-ci plus profondes.

Cette pratique, vous l'appelez «pleine présence»…

Oui, aujourd'hui on parle énormément de la méditation de «pleine conscience», qui est une traduction littérale de Mindfulness, le terme choisi par les scientifiques américains. En réalité, je trouve que ce terme de «conscience» en français renvoie trop à la définition cartésienne qui suggère une activité de la pensée… Or, ce que nous proposons aux enfants dans ce premier temps, c'est justement de ne pas penser! Il s'agit bien plutôt d'une pratique de la présence et de l'attention à leur corps, leur respiration.

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Auteur de l'article original: Pascale Senk
Source: Le Figaro.fr
Date de publication (dans la source mentionnée): Samedi, 15. Octobre 2016
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