Pour la première fois, un ordinateur a battu le plus grand joueur mondial de jeu de go, réputé plus difficile à modéliser que les échecs. Une révolution ?

Gérard Berry est titulaire de la chaire d'algorithmes, machines et langages au Collège de France. Pour Le Point.fr, il réagit à la première victoire d'une intelligence artificielle au jeu de go face à un champion humain.

Le Point.fr. Un ordinateur qui bat un homme au jeu de go, qui plus est un très grand joueur professionnel, qu'est-ce que cela vous inspire ?

Gérard Berry. Il y a vingt ans, l'ordinateur Deep Blue battait pour la première fois le champion russe Garry Kasparov aux échecs. Mais là, une nouvelle étape est franchie. Le jeu de go est l'un des jeux les plus subtils inventés par l'homme, beaucoup plus complexe à modéliser que les échecs. Il se joue en plusieurs endroits à la fois et nécessite des combinaisons moins systématiques et plus subtiles. Donc ce qui vient de se passer est un vrai changement d'échelle. Et le plus surprenant est la vitesse à laquelle c'est arrivé.

Le jeu de go a toujours été considéré comme intuitif. Or les ordinateurs, jusqu'à preuve du contraire, sont incapables d'intuition…

C'est vrai, au jeu de go, un homme fait appel à son intuition, mais la machine qui a gagné cinq parties à zéro n'a pas joué comme un homme. Elle n'a fait appel à aucune espèce d'intuition. L'ordinateur est arrivé à ce résultat remarquable en utilisant d'autres chemins. Si intelligence il y a, c'est celle des programmeurs. Ils ont su coder de meilleurs algorithmes d'exploration, plus malins, capables de calculer très vite les bons coups et de les implémenter sur un très grand nombre d'ordinateurs calculant en parallèle, ce qui n'est vraiment pas simple. L'ordinateur n'est pas plus intelligent, mais il est mieux outillé qu'un homme pour jouer au jeu de go : quand il faut explorer à toute allure un maximum de cas, l'homme est dépassé. Rien d'étonnant à ce que le système d'intelligence artificielle AlphaGo ait été conçu par une filiale de Google DeepMind. Une telle avancée a dû nécessiter de gros moyens financiers et humains.

Est-il exact que les algorithmes de DeepMind s'inspirent du fonctionnement du cerveau humain ?

Yann Lecun lui-même, le concepteur du « deep learning »  et des « neural networks », ces réseaux de neurones artificiels impliqués dans les techniques d'apprentissage automatique, est le premier à dire qu'il faut se méfier des comparaisons avec le cerveau humain. (...)

Auteur de l'article original: Propos recueillis par Olivia Recasens
Source: Le Point.fr
Date de publication (dans la source mentionnée): Vendredi, 29. Janvier 2016
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